Balboa.

Publié le par Sifoell

Il n'est pas bien grand. Il est bien plus petit que moi. Il est assez frêle et a une drôle de dégaine. Il a de belles rides d'expression autour de ses beaux yeux bleus.
Il a les cheveux colorés, d'une drôle de couleur prune, qui semble étrange pour un homme. Il a aussi une drôle de dégaine, le jean rentré dans les chaussettes, des chaussures de ville qui semblent très grandes pour quelqu'un de sa taille.
Il a aussi une drôle de démarche, la tête penchée sur le côté, posée dans sa main ouverte, le regard perdu, il va d'un sens puis de l'autre, papillonne, avant de se poser sur une chaise. Il semblait la semaine passée n'être en relation avec personne de particulier, et le voilà qu'il plaisante et échange avec le grand Max, qui serait bien beau s'il était moins schizo et plus denté.
Mais Balboa va mieux, il le dit lui-même : "y a le bon Balboa et le faux Balboa. Le faux, c'est celui qui a des problèmes, qui fout le bordel, et qui se fait virer du foyer. Le bon Balboa, il est gentil, mais il n'est pas là pour le moment, il est parti."
Parce que des fois, le faux Balboa vole des trucs qui appartiennent au vrai, et là ça devient compliqué quand ces deux Balboa sont dans le même petit bonhomme.
Aujourd'hui, il m'a dit qu'il me ferait un dessin. Je lui parlais des peintures qu'il avait faite la semaine dernière, celle-là, noire sur blanc : une caravane et une personne, de l'autre côté, même couloir : c'est une patinoire. Celle-là, verte et noire : une centrale nucléaire. Et ce cercle étrange et ces pointillés : un fer à cheval, ça porte bonheur.
Il ne mange pas souvent avec les autres, il préfère manger après, et qu'on lui propose du pain et du fromage, des gâteaux, un verre d'eau.
Balboa fait toujours le même circuit, comme d'autres : foyer pour dormir, celui-là où il a sa chambre, ou celui-là, géré par le 115, petit-déjeuner le matin dans cette asso qui tourne uniquement avec des bénévoles, et chez nous jusqu'à 16h, le restaurant social de tous les gens perdus du coin.
Balboa est un peu le chouchou de ces dames, mais gare au faux Balboa, qui fout le bordel !
Mais ne t'inquiètes pas, demain, y aura le vrai Balboa. Celui qui sauve les gens, comme celui-là, tiens, qu'il a ramené hier matin et qui tenait à peine sur ses jambes tellement il crevait la dalle. Le vrai Balboa, c'est un mec bien.

Il ne connaissait plus son nom. Il percevait des aides de l'Etat mais, perdu dans son esprit, il s'est aussi perdu dans ses papiers et a été perdu pour l'administration. Gaël dit qu'il a du faire un vrai travail d'enquête pour savoir quel était l'identité de Balboa, identité malmenée par des années d'errance, de toxicomanies diverses, et de folie douce. Maintenant, ça y est. Au bout de 10 mois d'entretiens avec Balboa et de recherches, on sait qui c'est... Maintenant, ça y est, Balboa touche ton allocation adulte handicapé et cesse de faire la manche.

Publié dans Le taf

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