L'homme à mille temps.

Publié le par Sifoell

images-copie-11.jpgComme il est parfois difficile de leur donner le sourire. Hier, je suis allée visiter le foyer et tous ses résidants, puisque j'étais sur place, revenant d'une petite crêperie avec ma collègue préférée, ma menthe-or... Mireille glacée dont la croûte de froideur couvre des trésors.

Mélancolique et joyeuse, je voguais d'unité en unité, de personne en personne. Répéter mille fois ce que je deviens, depuis ce temps, féliciter la double maman, demander des nouvelles des absents. Et promettre de revenir vendredi, à l'apéro de Noël, et peut-être plus...

Et discuter une heure avec Jojo qui boîte, Jojo qui bave et Jojo qui a les yeux qui reflètent très clairement ses émotions. Jojo s'ennuie, lui qui a tout ce temps si peu rempli, lui dont les centres d'intérêt s'amenuisent au fur et à mesure qu'il sort moins, au fur et à mesure de son humeur, régie par des montagnes russes brinquebalantes.

Jojo ne veut plus aller chez lui, il s'y ennuie. Jojo ne veut plus rester aussi, parce que pareil, il n'y a rien à faire. Jojo a vu sa soeur qui va bien. Il continue à faire de la musique, de l'harmonica, selon des harmonies qui lui appartiennent et qui ne nous sont pas si étrangères, à nous qui n'y connaissons rien...

J'ai chanté avec Thomas, vieux jeune homme ridé qui s'enlise dans une immobilité paresseuse. Quand il chante, il regarde vraiment celui qui est en face et chante avec lui, et il sourit. Petit Papa Noël, il connaît, et la maladie d'amour, peut-être l'a-t-il vécue.

Le lit est un refuge. Et ce jour-là, le vendredi bien avant Noël mais fêtant Noël quand même, personne n'était réfugié au fond de son lit. Tous avaient une belle mise, leur trente-et-un sorti, les cheveux coiffés, les noeuds pap' et cravates de rigueur. J'ai vue une vieille damoiselle en robe, alors que je ne l'avais toujours vu qu'en caleçon informe et jean. Et quelle parure, quelle panache, en robe rose foncé rehaussée par une écharpé doudouce rose claire, et les lunettes ? Fuschia. C'était la plus belle.

Et j'en ai vu d'autres, de belles demoiselles, en habit du dimanche, jupes de sortie sur pantalon (ah, l'hiver et l'épilation en institution, c'est vraiment pas ça...), couvrant leur beau chemisier de foie gras bon marché à la première occasion de vol à l'étalage au buffet si attrayant.

Et les hommes, alors ? Tous plus beaux les uns que les autres, certains avec du gel dans les cheveux, d'autres avec la raie sur le côté, et les rebelles à tout coiffage, ébouriffants et ébouriffés.

Le buffet et le repas étaient à la hauteur du talent de l'aide-soignant-ancien-cuistot-musicien-à-ses-heures. Merveilleusement délicieux. Buffet froid avec moults salades, charcuterie, foie gras, terrine, salade verte décorant le tout... De sympathiques petits triangles de feuilles de brick aux crevettes et petits légumes... Chef, je te volerai bien la recette !

Et juste avant le dessert, quelque agitation... Mais... Ne serait-ce donc pas le Père Noël qui arrive ? Et là derrière ! Une petite elfe qui pousse un cageot à roulette plein de cadeaux ! Même que j'en ai eu un, et je peux vous assurer que ce cadeau inattendu m'est très précieux. Ce n'est pas tant sa valeur financière que sa valeur affective.

Un cadeau de mon ancien boulot... Pensez donc...

Et voilà qu'il est déjà temps de partir, j'aimerai tant rester plus longtemps, mais non, ce n'est pas possible.

Je les porte dans mon coeur, tous, résidents et professionnels. Et ils ne sont pas près d'en sortir.

Publié dans Le taf

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