La pluie.

Publié le par Sifoell

Les gens chagrin n'aiment pas la pluie, elle les arrose, leur jette un rhume au visage, et s'enfuit en crépitant de plaisir. Non, les gens chagrin n'aiment pas la pluie. Ne voient-ils pas la joie qu'elle ressent lorsqu'elle tapote sur l'eau d'une rivière ? Ne voient-ils pas comme elle rugit soudain, tellement heureuse de revoir un lac, qu'elle s’y précipite ? La pluie est joyeuse, mais les gens chagrin n'aiment pas la joie.

Un ciel d'orage est beau, avec toutes ses nuances de gris, et quelques trouées de bleu, qui poussent du coude les gros nuages, pour avoir une petite place. La pluie est belle, de rendre si éclatant de dégradés de couleurs le ciel, avec des gris foncés sévères, des gris clairs timides, des blancs lumineux, et ces merveilleux bleus qui résistent tant bien que mal à l'invasion de nuages encombrants. Les gens chagrin n'aiment pas la pluie. La pluie est belle, mais les gens chagrin n'aiment pas la beauté.

La pluie est aussi une adroite musicienne, qui s'amuse des sons qu'elle fabrique de ses milliers de doigts fins et froids. Elle rit de nous tomber dans le cou, et de rafraîchir un peu notre nuque, qui n'en avait pas spécialement besoin. Elle pianote sur une véranda, lentement, puis de plus en plus vite, au gré de son inspiration, qu'elle doit puiser auprès des joyeux moutons. Je me demande si elle n'a pas peur, en se jetant du dos de ces moutons blancs, elle doit s'agripper de toute la force de ses longs doigts fins, à un bout de laine...

La pluie est une inspiratrice sans le vouloir. De l'eau tombant du ciel, un cadeau des dieux. Parfois, elle se fige de froid et se fracasse sur le sol, trouant le ciel. Une bombe divine lancée par une déesse outragée. Mais les gens chagrin n'aiment pas les dieux, ils n'aiment qu'eux-mêmes.

La pluie s'offre au voyageur fatigué, favorise les épanchements amoureux de quelques couples surpris par une averse soudaine. Ne voulant pas se faire arrosé, le dormeur reste plus longtemps sous sa montagne de couvertures et savoure la chaleur du moment. Les vaches dans les prés y voient une occasion de s'amuser de ce contretemps fâcheux, les trains et les voitures sont rares, par ici.

La pluie s'amuse de voir courir à toute vitesse les grand-mères, leurs cheveux permanentés protégés par un sac plastique transparent. Les enfants sautent dans les flaques qu'elle forme, au grand désespoir de leur mère qui se dit qu'elle devra frotter ces traces de boue sur les pantalons des marmots, si elle veut les faire partir.

La pluie inspire le poète désolé. Il voit en elle un cadeau du ciel qui lui met dans la tête des idées, des mots, qu'il sait assembler pour en faire une oeuvre de maître, la plus belle puisqu'elle est sienne.

La pluie est généreuse d'arroser pendant des journées durant, inlassablement, consciencieusement, les côtes, les îles sous le vent qui la poussent de leurs larges bras. La pluie est heureuse, joueuse et se lance de toute la force de ses millions de gouttes d'eau, dans une rivière, toboggan bien trouvé, qui la promène jusqu'à la mer.

Parfois, épuisée, elle ne tombe pas pendant des mois dans des pays assoiffés, mais elle s'encourage et tombe avec plus de vigueur que de rareté. Elle tombe en déluge, inonde le pays de sable, les oasis deviennent des îles en plein désert et les hommes sont heureux, parce qu'ils ne mourront pas encore de soif, parce qu'ils pourront vivre encore sur les terres qu'ils connaissent depuis toujours. La pluie est généreuse, quand elle est rare.

Mais les gens chagrin râlent lorsqu'une goutte d'eau aussi froide que hardie leur coule lentement dans le cou. Non, les gens chagrin n'aiment pas la pluie.

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