Elle est pas belle, la vie ?

Publié le par Sifoell

d--pression-3.jpgCeci est un sketch à quatre mains, écrit avec mon meilleur ami de délire qui en ce moment s'interroge beaucoup sur sa vie (hein, toi qui me lis ?). Ce texte date pas mal, il a bien trois ans, et je me souviens qu'on l'a écrit en une demi-heure peut-être, entre deux fous rires, et après cet énergumène qui m'a laissé en début de semaine des messages répondeur obscènes dictés par la voix de madame SNCF (votre train arrive en gare de Auray - Auray - deux minutes d'arrêt), cet énergumène et moi-même avons joué ce sketch hyper glauque devant des copines qui ne sont pas trop dans cet humour archi-noir sur le suicide, le désespoir quotidien... Une grande partie de rire...


Un homme rebranche son téléphone et se vautre dans son canapé, sur le ventre, le bras balayant le sol, regarde d'un air dépité un magazine féminin. Il marmonne, râle et semble des plus dynamiques. Feuilletant le magazine...
"Elle"... "Etes-vous heureux dans la vie ?" Magnifique. Enfin, comme Nadine me l'a passé, il va bien servir. Ca va occuper un peu de la journée, déjà.
" Première question : dans la vie quotidienne, vous êtes plutôt :
a. Cool, doucement le matin, pas trop vite l'après-midi, et le soir, on se couche.
b. Dynamique, impossible de tenir en place trois secondes, vous ne pouvez imaginer faire une seule chose à la fois.
c. Envieuse, les bijoux de la voisine sont tellement plus beaux que les vôtres..."
Mouais, c'est vraiment un test à la con, ça. Bon, on va dire b. Dynamique.
" Deuxième question. Côté amitié :
a. Chacun chez soi et les vaches sont bien gardées.
b. Je n'ai aucune vie sociale.
c. Amies à la vie à la mort, frères et soeurs de sang, vous pourriez tout faire pour vos potes."
c. Amies à la vie à la mort.

Le téléphone sonne. L'homme laisse glisser un regard las sur l'appareil, marmonne et décroche.
- Allô ? Allô ?...
Au bout du fil, une femme pleure.
- Robert ? C'est... C'est Nadine. T'étais où ? Je t'ai appelé trois fois aujourd'hui !
- Nadine ? ... Heu, j'avais pas de réseau. Ca va pas ? Qu'est-ce qui se passe ?
- Christian vient de me larguer.
- Oh... Et... ça va ?...
- Je viens de me faire larguer, ça va comment, d'après toi ?
- Oh, je... je suis désolé... Le salaud... Heu... Je suis sous le choc, je ne sais pas trop que dire, désolé...
- De toute façon, il n'y a rien à dire...
- Ah ! Et... Je peux venir te voir pour te remonter le moral ?
- Non, non, ce n'est pas la peine. Je ne sais même pas où je suis...
- Oui, oui. C'est normal que tu ne saches pas où tu en es. Tu es bouleversée. Mais ne t'inquiètes pas, ce n'est qu'un mauvais passage. Ca passera, tu...
- Oh, putain... Je commence à voir trouble...
- Oui, oui. Essaie de prendre un peu de recul, prends quelques jours pour réfléchir, tu y verras plus clair... Tu vas sortir, tu vas faire d'autres rencontres, tu vas l'oublier...
- Tu sais, ça fait mal...
- Oui, ça va faire mal un bon coup, et après, ça ira mieux...
- Non, mais t'y es pas du tout. Je viens de me taillader les veines.
- Tu plaisantes ? C'est une blague...
- Tu crois que j'ai le coeur à rire ?
- Non, mais tu te rends compte de ce que tu as fait... Il te restait tellement de choses à vivre...
- Je sais, mais c'est trop tard.
- Non, ce n'est pas trop tard...
- Si, c'est trop tard... J'aurais jamais dû faire cette connerie. Je regrette, je regrette tellement, si tu savais... Je me vide... Je suis toute engourdie... Ca fait tellement mal... ... Si seulement t'avais répondu il y a une heure, on n'en serait pas là... ... Aaargh, je souffre...
- Nadine ? NADINE ? Accroche-toi. Reste avec moi. Raccroche pas. Nadine ? Allô ? ALLÔ ??
- Aaaargh, aarghghgh............. Tut tut tut tut tuuuuuuuuuuut.

L'homme raccroche le téléphone, blême. Son corps se tasse, il se liquéfie sur place.
- Je suis qu'un salaud... Je suis égoïste, elle a raison, j'aurais quand même pu décrocher le téléphone tout à l'heure...
Il pleure. Son regard tombe sur le magazine féminin resté ouvert.
- "Troisième question : lors de difficultés, quelle est votre réaction ?
a. Vous vous jetez contre l'adversité et abattez des quantités incroyables de problèmes sans soucis
b. Vous vous jetez dans l'armoire à pharmacie, à la recherche de médicaments anti-stress, et autres anxyolitiques..."
C'est çà, la solution. Je l'ai laissé mourir. Je n'ai pas le droit de vivre.
Sortie de scène. Il revient avec un tube de médicaments qu'il avale avec de l'eau. Le téléphone sonne à nouveau.
- Allô !
-C'était une blague ! Je t'ai bien eu, hein ?
- J'ai fait une connerie...
- Ouais, ouais, c'est ça. Les plaisanteries les plus courtes... Tu sais ce qu'on dit... Au fait, t'as fait le test sur le bonheur dans la vie ? Toi qui te plains toujours, il y a pire que toi. Tu as lu le courrier des lectrices ? Les pauvres, elles se font larguer, elles sont stériles... Ne pleure pas sur ce que tu n'as pas, Robert.
- Nadine... Nadine, j'ai vraiment fait une connerie, là...
- Ouais, ouais... Bon, ben, je vais te laisser si tu n'as pas plus d'humour que ça. Tu ne cherches même pas l'originalité, je viens de te le faire. Bonne soirée quand même et à demain, salut !
On a raccroché. L'homme reste là, à contempler le combiné dans son agonie.
Noir.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article